Censurer. Reprendre, critiquer, dit un vieux dictionnaire 
optimiste. Il faut donc aller voir le deuxième sens qu’il propose. Censurer, 
infliger, sanctionner d’une peine. Laquelle ? Le dictionnaire ne dit rien de 
plus. Alors je poursuis. Celle de ne pas être vu, lu, entendu. Censurer, se 
comporter de façon autoritaire, priver l’œuvre de son public et le public de 
l’œuvre. Censurer, penser à la place de. A la place de l’artiste, irresponsable, 
de l’œuvre, irrespectueuse, et du public, inapte à juger par lui-même. Censurer, 
se considérer comme seul adulte dans un monde d’enfants.
Les bûchers de l’Inquisition ne brûlent plus que dans les âmes 
maladives des nostalgiques. Sûr ? Pas si sûr. Le monde contemporain n’est pas 
exempt d’intégrismes de tous bords, cette rétraction du religieux sur lui-même, 
qui pousse à penser pour les autres et à leur imposer leur loi. Que rien ne 
bouge ! L’intégrisme n’est pas que religieux. Il est une force sourde qui 
pousse, dans nos démocraties encore neuves, des responsables politiques ou 
culturels à penser le monde sans aucune tolérance. Le démon est encore là. La 
censure de Venise en porte la marque.
Ce « non » infligé aux « cent sexes » de Charlier par la Biennale 
de Venise, et la Ville, est un camouflet à l’histoire de l’art. Les sexes des 
anges, des statues de la Renaissance et des peintures religieuses n’ont qu’à 
bien se tenir. Nous voilà revenus aux feuilles de vignes, aux voiles pudiques, 
et pourquoi pas aux ceintures de chasteté ? La Biennale serait donc devenue le 
monde de l’art sans sexe. Bon courage. Ce monde n’existe pas plus dans l’art que 
dans la vraie vie.
Le sens commun de la pudeur pourrait être offensé par les gentils 
et savants sexes de Charlier, a dit la Ville ? Parlons alors de cette notion qui 
se sert du droit pour imposer à tous une norme morale. Parlons morale. La pudeur 
de qui ? La pudeur de quoi ? La pudeur des pauvres n’est-elle pas offensée par 
les étalages de richesses ? La pudeur des justes n’est-elle pas offensée par 
l’impunité des bourreaux ? La pudeur des catholiques n’est-elle pas offensée par 
la négation explicite de la Shoah ? Qui pourrait être choqué par les 
représentations de Charlier, qui sont à la fois ludiques, pudiques, et 
intelligentes ? Les bigots incapables de reconnaître l’artiste dans le dessin de 
son sexe (rappelons, pour mémoire, le dessin d’un pinceau qui perd une petit 
goutte, pour le subtil Niele Toroni, ou un petit paquet joliment ficelé qui 
évoque moins son appareil génital que le travail de Christo) et qui s’arrêteront 
sur le sexe lui-même ? L’inculture doit-elle tenir lieu de loi pour tous ? S’il 
fallait interdire toutes les œuvres incomprises, alors les musées seraient 
vides, surtout ceux des artistes de la Renaissance !
Ce « non » à l’œuvre de Charlier porte sur la charge symbolique de 
l’œuvre et en reconnaît donc la réussite. Le sexe, ça fait partie de la vie. Et 
le sexe n’est pas forcément vulgaire ou graveleux ; il peut être savant et 
joyeux.
La réaction de la communication de la Biennale, qui a cru pouvoir 
dénier à l’Observatoire de la liberté de création le droit d’utiliser le terme 
de censure, est bien symptomatique d’une intolérance intégriste. Au « non » 
s’ajoute l’interdiction d’user du « nom » du « non ». Le retour de l’ordre moral 
s’accompagne d’une interdiction qu’on le dise pour ce qu’il est. Dans ce fait 
qui est un méfait, le refus que les œuvres soient montrées, refus évidemment 
honteux, tente de cacher l’arbre de ses raisons, petites craintes pudibondes et 
vision autoritaire et réductrice du monde, derrière un petit doigt : les œuvres 
de Charlier n’auraient « pas convaincu ». Mais si, bien sûr, elles ont 
convaincu. Si elles n’avaient pas été réussies, on l’aurait dit plus vite et 
sans tergiverser, sans invoquer le « sens commun de la pudeur » et jusqu’à la 
pudeur des artistes représentés par Charlier. Ce qui est du plus haut comique, 
et d’une grande perversité, comme si les artistes eux-mêmes étaient les censeurs 
de leurs pairs.
Ce « non » est très inhabituel dans le monde de l’art. Jusque-là, 
politiques, religieux et associations de défense de l’enfance adressaient aux 
autorités leurs demandes de censure. On avait l’habitude d’une certaine 
résistance de l’institution culturelle, investie, défendant ce que l’art a de 
particulier à dire, avec ses écarts, ses déplacements de points de vue, ses 
révolutions formelles et ses innovations de sens. Cet écart, que les nouveaux 
réactionnaires appellent des provocations, est tout simplement vital, dans une 
société démocratique. Il est l’endroit de rencontre entre la proposition et le 
public, l’endroit où le jugement critique se forme, s’exerce, se nourrit, se 
partage, s’argumente. Le côtoiement des œuvres d’art est une école de 
citoyenneté qui apprend à penser et à échanger. Le jugement de goût forme au 
jugement politique, en ce qu’il présuppose que chacun peut juger. Jusque là, les 
grandes institutions culturelles avaient conscience de l’importance démocratique 
de leur tâche, et assumaient leur rôle de médiation. La Biennale de Venise a 
donc gravement failli.
Comme le voile transparent qui croit cacher le sexe qu’il 
recouvre, et qui au contraire le révèle en le désignant à la curiosité de 
l’imagination, montrant au passage l’obsession du juge, la censure de Venise est 
un masque, mais un masque bien sombre. Une pudeur impudique. Une injustice.
Paris, le 5 juin 2009
Sont membres de l’Observatoire : 
 Acid
 Acid 
 Aica France
 Aica France 
 FRAAP, Fédération des 
Réseaux et Associations des Artistes Plasticiens
 FRAAP, Fédération des 
Réseaux et Associations des Artistes Plasticiens 
 Groupe 25 Images
 Groupe 25 Images 
 Société des Gens de 
Lettres (SGDL)
 Société des Gens de 
Lettres (SGDL) 
 SRF
 SRF 
 UGS
 UGS
Commentaires
1. wilmo le 11-06-2009 à 06:19:52
« La censure pardonne aux corbeaux et poursuit les colombes » écrivait Juvénal, poète romain du Ier siècle après Jésus-Christ.
Deux mille ans plus tard, les corbeaux continuent à proliférer et les colombes à croupir dans leurs cages. Sur toute la planète, les exemples de journalistes, d'écrivains, de cinéastes ou d'artistes poursuivis, emprisonnés, voire assassinés pour leurs idées ou leurs opinions sont légion. En Iran, en Chine, en Syrie, en Birmanie, au Zimbabwe, au Sri Lanka, en Irak, en Arabie saoudite ou à Cuba, la liberté d'expression est quasiment inexistante et la censure souvent instituée en mode de gouvernement.
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une soirée "censurée" à l'Alhambra?
2. wilmo le 11-06-2009 à 11:09:11
un peu de lecture instructive...
http://ybocquel.free.fr/4_censure.html