PAR LAURENT DECOTTE
region@lavoixdunord.fr PHOTO PATRICK JAMES
Leur usine située à La Bassée a bien changé. Elles l'ont quittée il y a dix ans cette année, en pleurs, malgré des mois de combats, soudées, qui n'ont pas fait reculer leur direction vaille que vaille déterminée. Levi's délocalisait, et par là même privait de leur métier 541 salariées, la plupart ouvrières qui, pour certaines, y bossaient depuis une trentaine d'années. Dans ce lot numéroté comme un paquet de toiles bleues, Brigitte, Dominique, Catherine (à gauche sur la photo), Patricia (à droite) et Thérèse (au centre), choisies par la suite pour jouer 501 Blues au théâtre, le succès à la clé.
Promesse tenue
Nous avons pris rendez-vous avec les trois dernières, ci-avant citées, devant leur ex-usine occupée depuis par une société de location de réfrigérateurs. Les larmes ne sont plus là, mais les souvenirs reviennent, dans la bonne humeur, comme des quadras qui retrouveraient ensemble l'école de leur enfance.
Brigitte et Thérèse sont aujourd'hui à l'âge de la retraite ou presque. En revanche, les trois benjamines travaillent au conseil régional : Catherine est agent d'accueil, Patricia agent au service du protocole, par exemple chargée des cadeaux, et Dominique à la culture. « Alors qu'on venait de jouer "501 Blues" au conseil régional, Daniel Percheron, le président, est venu nous voir », racontent-elles en choeur. « Quand il a su qu'on était sur le point de ne plus toucher le chômage, il nous a promis de nous aider. On a pensé que c'étaient des belles promesses, on nous en avait déjà tellement fait. Mais huit jours après, il nous rappelait. » Pour elles, cette expérience théâtrale a été leur « grande chance ». Ça leur a ouvert des portes, ça les a libérées, ça a servi d'exutoire et surtout ça leur a redonné confiance en elles, alors qu'elles avaient été comme salies d'avoir été licenciées. Mais elles pensent aux copines, qui n'ont pas vécu cette expérience et qui, pour beaucoup, sont restées sur le carreau. Elles pestent contre les cellules de reclassement, crient « foutaise » devant leur télé quand elles entendent ce que l'on promet aux futurs licenciés et conseillent d'avoir du « culot », de tout essayer. Si c'était à refaire, Thérèse n'aurait pas emballé le dernier paquet de jean's, le dernier jour, regrettant d'avoir été automate jusqu'au bout.
Avec le recul, la vie en usine leur a beaucoup appris : le travail, la rigueur. Mais voyant ce que peut être la vie professionnelle ailleurs, Patricia regrette un peu d'avoir passé trente années à la chaîne, mais certainement pas d'avoir mené le combat pour la maintenir. « Il fallait sauver notre emploi et celui des filles », question de dignité. Et de constater, sans jugement aucun sur cet état de fait, mais comme un message à ceux qui n'en ont cure : « L'usine, c'était notre vie ». •