RENCONTRE AVEC BRUNO DUMONT ET JULIE SOKOLOWSKI
DIMANCHE 29 NOVEMBRE A 14H30
Écrit et réalisé par Bruno DUMONT
France 2009 1h45
avec Julie Sokolowski, Yassine Salim, David Dewaele, Karl Sarafidis...
du 25 novembre au 8 décembre
Comme toujours avec Bruno Dumont, les réactions vont être tranchées. Hadewijch provoquera adhésion ou rejet, selon qu’on sera sensible ou non à la manière dont le cinéaste, avec une rude ténacité, affronte son sujet, ses personnages… et le spectateur ! Posant des questions frontalement, par le biais d’un réel doté d’une terrible puissance d’expression. Précisons que le film est inspiré du personnage de Hadewijch d’Anvers, béguine et écrivaine de langue flamande qui, au xiiie siècle, chanta l’art d’aimer. Cette femme pieuse et mystique voulait « aimer l’amour », l’amour étant pour elle Dieu qui en fut la manifestation permanente…
Dans un couvent quelque part au Nord de la France, la toute jeune Céline est novice sous le nom de Sœur Hadewijch. Elle est ici en attente exaltée de Dieu, dont elle est amoureuse. Elle ne se nourrit plus, ne se protège plus du froid : son expression absolue de l’amour de Dieu, son approche de la religion chrétienne ne cessent de choquer la norme établie dans la communauté, qui lui reproche de se complaire dans une recherche individuelle et peut être égoïste de Dieu…
Dans le couvent, on croise deux autres personnages clés : une autre novice, dont le regard doux inspire l’amour et la confiance. Et un maçon, délinquant occasionnel, au visage écrasé, à la figure de pénitent. Deux personnages filmés comme deux images lumineuses et inamovibles. Vraies représentations bibliques qui enceindront la narration. Sur ordre de la Mère supérieure, gardienne des règles qui préservent la communauté, Céline devra quitter le couvent. Pour trouver Dieu « elle devra rencontrer le monde, vivre des événements ».
Ce retour forcé dans le monde extérieur fournit à Dumont l’occasion de mettre en parallèle des univers diamétralement opposés. Nous passons des maisons aristocratiques de l’île Saint-Louis, où vivent les parents diplomates de Céline, aux cités de banlieue dont les immeubles tristes se dressent vers les cieux. Des temples du luxe et du paraître aux mosquées de banlieue...
Car Céline va rencontrer Nassir et Khaled. Et avec eux l’islam. Et pas n’importe lequel, un islam radical et politique dont les pratiquants croient qu’il doit s’incarner dans une résistance violente contre ceux qu’ils estiment leurs ennemis et contre qui ils pensent devoir mener une guerre de civilisation ici en Occident, ou aux côtés de leurs frères du Moyen Orient opprimés. À travers cette rencontre Céline découvrira ainsi comment aller plus loin dans sa quête… Mais est-ce en le servant ainsi jusqu’au mépris de la vie humaine qu’elle pourra vraiment le trouver ?
Comme toujours, Dumont prend des risques, impose des confrontations idéologiques troublantes, des dialogues qui auraient pu flirter avec le ridicule et finalement touchent au sublime. Manière pour lui de brosser le portrait d’une époque où tout est factice. Mais comme dans son chef d’œuvre L’humanité, il ne parle que d’une seule et même chose : la quête peut être sans issue de personnages en mal d’absolu et au cœur trop grand pour un monde à la spiritualité à l’agonie. À cette époque dans laquelle Dieu mais aussi l’espoir en l’homme se meurt, Dumont oppose la sincérité nue de ses interrogations sans réponse facile, de sa mise en scène sans artifices spectaculaires, du jeu sur le fil du rasoir de ses acteurs non professionnels. Le film ne cherche jamais à nous rassurer, à nous divertir. Il nous faut rester aux aguets, suivre les incertitudes, les contradictions d’une quête d’amour absolu dans une époque trouble et meurtrière.
Le son est très travaillé, la civilisation nous assourdit de ses bruits incessants. Les moments de paix, de sérénité en sont d’autant plus intenses. La lumière est magnifique, très proche de celui qui baignait les images célestes des grands maîtres flamands, Dumont réussit des plans qui sont autant d’instants de grâce, qui laissent respirer les personnages, et nous avec eux.
« Ça ne se passe plus là désormais entre Lui et moi. Moi qui croyais m’être un peu dépouillée, avoir parfois contemplé, ma purification n’était pas la purification voulue par Amour, ni la contemplation celle qui me fut offerte dans la lumière. Ma nudité ? Une illusion. Ma pauvreté d’esprit ? Un malentendu. » Hadewijch d’Anvers
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