samedi 03.04.2010, 05:08 - La Voix du Nord
Moteur ! Les salles de cinéma sont en train de s'équiper dare-dare en projecteurs numériques, dans la foulée du phénomène « Avatar ». Une profonde révolution s'opère chez les exploitants... dont certains s'inquiètent de rester au bord de la route, car l'investissement demeure très lourd.
Manifestement, vous vous précipitez dans les salles pour voir Alice au pays des merveilles, le nouveau film de Tim Burton (1,6 million de spectateurs en une semaine !). Un décoiffant spectacle en numérique 3D relief pour lequel de nombreux exploitants, tel le fameux lapin blanc pressé, ont tenu à être au rendez-vous. Projeter un film en 3D nécessite en effet l'utilisation d'un projecteur spécifique. « C'est indispensable aujourd'hui, parce qu'il y a de plus en plus de films qui utilisent cette technologie », justifie Jean-Claude Waeghe, directeur du Cinémovida d'Arras, qui vient de s'équiper juste à temps pour accueillir Alice. « On avait déjà perdu beaucoup en ne diffusant Avatar qu'en 2D. »
Idem chez UGC, qui possède deux multiplex dans la région (14 salles à Lille, 12 à Villeneuve-d'Ascq). La société a longtemps été réservée quant au numérique et à la 3D, mais le fait de passer à côté du triomphe d'Avatar (14,6 millions d'entrées dans l'Hexagone) a modifié la stratégie générale du groupe. Le complexe lillois a franchi le cap pour la sortie d'Alice. L'établissement de Villeneuve-d'Ascq basculera le 30 juin, pour accueillir Shrek 4.
À une échelle plus petite, le Palace de Cambrai a lui aussi débuté sa mutation : une salle équipée en numérique pour la sortie du film de Tim Burton (trois salles sur cinq prévues en juin). La directrice Christine Carton est formelle : le numérique, c'est l'avenir du cinéma : « Le petit plus qui fait qu'un film devient sensationnel. » Au Majestic de Lille, qui vient justement de battre son record de première semaine avec Alice, Valentin, opérateur, s'est adapté, mais il précise : « On n'a plus le plaisir de manipuler la pellicule. L'aspect tactile avec le film disparaît. Monter une bobine 35 mm avait un côté artisanal. » Voilà en effet un aspect dont le spectateur ne se rend pas compte. Tous les films ne sortent pas en relief, mais pour diffuser un film en relief, il faut être équipé d'un projecteur numérique. Et c'est l'équipement des salles en numérique, phénomène qui a débuté voici quelques années, qui s'est considérablement accéléré avec Avatar. Convertir une cabine de projection nécessite un investissement compris entre 70 et 100 000 E. On ne reçoit plus de bobines à monter, mais un fichier qui prend la forme d'une petite boîte (une sorte de disque dur appelé DCP).
Les premiers gagnants sont les producteurs et distributeurs de films : fabriquer une copie de film 35 mm revient à plus de 1 200 E , tandis que la copie numérique revient à 150 E. À terme, toute la distribution des films risque de se faire en numérique, avec ou sans relief.
Les grands circuits et gros indépendants parviennent à faire financer une partie de l'investissement grâce à des fonds alimentés par les producteurs et distributeurs. Pour les plus petites salles, qui ne sortent pas les films en sortie nationale et qui n'ont pas une fréquentation gigantesque, c'est plus compliqué. Laurent Coët, patron du Régency de Saint-Pol-sur-Ternoise (un écran, 27 500 entrées en 2009), n'a pas encore pu se convertir au numérique.
Trop cher. « Nous sommes dans l'expectative, dans l'attente des aides publiques. » La municipalité de Saint-Pol a d'ailleurs voté la semaine dernière une enveloppe de réserve pour aider le cinéma, mais pour la débloquer, il faudra que d'autres instances mettent également la main au portefeuille : le centre national de la cinématographie ou, pourquoi pas, le conseil régional. « Il faudrait une politique d'aide à la numérisation des petites salles dans le Nord - Pas-de-Calais », soutient Laurent Coët.
Autre exemple avec le projet de complexe cinéma à Berck-sur-Mer, qui sera cofinancé par la communauté de communes (Opale Sud)... avec des installations entièrement high tech. « Le numérique a bouleversé la notion de salle de spectacle », assure Alain Goillon, adjoint à la culture de Berck.
Il faut donc peut-être comprendre que si les collectivités n'interviennent pas dans le scénario, certains exploitants risquent de rater la suite du film.
PAR CHRISTOPHE CARON
region@lavoixdunord.fr
PHOTOS PIERRE LE MASSONET MAX ROSEREAU