On y revient de façon plus "light" dans le prochain édito de la gazette. Selon toutes probabilités, la loi dite "Création et internet" sera votée la semaine prochaine par une écrasante majorité de députés - à l'enthousiasme très, très relatif. Et si, à force de tout regarder avec les œillères obligeamment fournies par les businessmen des Fnac-Vivendi-Universal-Warner, accrochés à un modèle économique vacillant, nous risquions de passer à côté des vrais enjeux de cette mutation technologique ?
Avec les camarades Indépendants, Solidaires et Fédérés (ISF), l'association de salles de cinéma indépendantes créée l'an dernier, Rodolphe, le plus spécialiste d'entre nous de ces choses a fignolé le communiqué suivant.
Que nous signons des deux mains.
Nous, salles de cinéma, sommes opposées à la loi Hadopi car elle est liberticide, réactionnaire et inefficace. Nous sommes opposés à cette loi car elle ne résoudra en rien les difficultés du secteur de la création, elle tend à opposer les créateurs et leur public et semble totalement ignorante des implications des mutations technologiques actuelles sur nos pratiques culturelles. Si les salles de cinéma ont encore un avenir, c’est pour être un lieu d’échange et de partage, et non un lieu où on surveille les spectateurs avec des jumelles infra-rouge, et ou devant chaque film ont diffuse un texte demandant à chacun de dénoncer son voisin (il est vrai que nous vivons des temps troublés où l’on en revient à interdire les réunions sous couvert de protéger le citoyen…). La salle de cinéma a une raison d’être, c’est d’être le lieu de l’expérience collective, et de s’inscrire pleinement dans la vie de la cité.
Comment avons-nous pu perdre le sens de ce que nous faisons au point de restreindre les libertés individuelles et la diffusion des œuvres au nom de la préservation de la création ? En opposant les artistes à leur public, la loi Hadopi vide de son sens l’objet de toute création : être vue, écoutée et partagée. De quelle culture s’agit-il en fait ? Assurément pas celle des Lumières, mais plus probablement celle de l’argent. L’industrialisation de la diffusion des œuvres fut un moyen efficace dans les siècles précédents, depuis l’invention de l’imprimerie, de diffuser la culture au plus grand nombre. Aujourd’hui, la dématérialisation des œuvres remet en cause ce mode de diffusion et offre aux créateurs des possibilités de diffusion et d’émancipation sans précédent. Encore faut-il ne pas louper le coche…
Le numérique pourrait être pour nous une opportunité extraordinaire de jouer ce rôle de lieu d’échanges et d’émulation artistique, si l’on avait la possibilité de diffuser à la fois des créations locales à petit budget, et à la fois des productions plus ambitieuses. Or les matériels que l’on nous propose aujourd’hui sont trop chers et ne permettent pas de diffuser tout ce que le numérique peut offrir. Nous sommes pour l’heure cantonnés dans une norme de fichiers difficiles à mettre en œuvre. Une plus grande souplesse nous permettrait de diffuser plus aisément des créations locales, sans coûts supplémentaires, et de favoriser ainsi l’émergence de nouveaux talents. C’est avant tout ce qui nous intéresse, nous exploitants citoyens, dans le passage à la projection numérique. Un matériel plus adapté aux petites salles permettrait de surcroit un renouveau des salles de quartier et d’ainsi revitaliser le tissu social. Internet et le numérique ont libéré partout dans le monde des énergies créatrices extraordinaires. Il est essentiel de ne pas brider ces énergies comme le propose cette loi qui ne favorisera en rien la diversité culturelle et n’anticipe en rien les mutations de la société, et l’évolution des pratiques. L’objet de cette loi est de préserver les structures pyramidales issues de l’ancien monde, de maintenir sous perfusion des modèles sans avenir.
Non contente d’être inefficace, la loi Hadopi aura pour conséquence directe de rémunérer non pas les artistes, mais les différentes sociétés offrant des services payants permettant de télécharger anonymement (les fournisseurs d’accès aux newsgroups, les hébergeurs de fichiers volumineux, les serveurs de proxys ou autres tunnels cryptés et sécurisés…). Il est temps de mettre en place cette contribution créative que nous appelons de nos vœux. Car si elle n’est pas mise en place, la prochaine étape sera la fin de la neutralité d’Internet. Et c’est là que la diversité culturelle est en réel danger.
Les fournisseurs d’accès ne doivent pas devenir des fournisseurs de contenus. Internet, c’est la décentralisation et la possibilité donnée à tout un chacun de produire et diffuser du contenu. Or c’est ce qui se profile actuellement, et pas seulement pour Internet mais aussi pour le passage au numérique des salles de cinéma.
Dans un futur proche, les films sont amenés à être acheminés dans nos salles par le biais des fournisseurs d’accès. Or si ceux-ci deviennent fournisseurs de contenus, quelle liberté de programmation aura-t-on ? Si les fournisseurs d’accès deviennent fournisseurs de contenus, le filtrage des réseaux sera la prochaine étape, et ce sera la mort de la diversité culturelle. On veut nous transformer en télévision câblée, au même titre qu’on veut transformer Internet en un media comme un autre, c’est à dire contrôlable. Ne nous y trompons pas, la loi Hadopi n’est là que pour maintenir les pouvoirs en place et favoriser une concentration des medias encore plus grande.
À l’ère numérique, la notion d’intermédiaire technique est essentielle. Comment expliquer la montée fulgurante de l’iTune Store d’Apple ? Cela a-t-il favorisé une meilleure rémunération des artistes ? Certainement pas. Il est temps que les créateurs prennent la mesure des possibilités d’émancipation que leur offre le réseau, qu’ils n’échangent pas une servitude pour une autre. La contribution créative semble être un bon moyen pour y parvenir. Mais il est également temps que les millions de gus dans leurs garages, ceux qui innovent chaque jour sur le réseau, prennent conscience qu’ils doivent travailler avec les artistes pour inventer des nouveaux modèles pour rémunérer la création. La diversité culturelle, nos libertés et la bonne santé de nos démocraties sont en jeu. Sommes-nous encore des êtres humains, ou sommes-nous devenus des fourmis pour vouloir, quelles que soient les circonstances, sans aucune réflexion et à n’importe-quel prix, préserver la structure immuable de la fourmilière ? La révolution de l’âge numérique aura-t-elle lieu ?
Indépendants, Solidaires, Fédérés est une association regroupant des salles de cinéma indépendantes (Utopia, Pandora, l’Alhambra, Diagonal… et autres).
Commentaires
un lien intéressant pour se tenir au courant
http://hadopi.tumblr.com/#xtor=AL-32280184
Le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale Jean-François Copé a affirmé jeudi que l'opposition du Parlement européen d'autoriser les coupures d'Internet sans décision de justice préalable "ne vaut pas" en France, dénonçant à nouveau "les petites manips des socialistes".
"C'est le prolongement des petites manips des socialistes français qui ont passé un coup de fil à leurs copains socialistes eurodéputés", a-t-il déploré sur France-2. "Dans l'urgence, ils nous ont fait passer un amendement qui ne tient pas la route une seconde au Parlement européen".
tsssss, et en plus ils sont mauvais perdants!
quel mic-mac!
Le parlement européen vient d'adopter un amendement s'opposant à l'application du projet de loi Création et Internet, soutenu et défendu par les socialistes européens, au lendemain de la publication d'une lettre de «rupture» signée par cinq artistes classés à gauche (Pierre Arditi, Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, Bernard Murat et Michel Piccoli).
ça me rappelle les moines copistes qui ne voulaient pas de l'imprimerie...