Le débat sera animé par Pierre Pluta et Aimé Carbonnier, membres de l'Ardéva 59/62. après la projection du film de Brigitte CHEVET "Mourir d'Amiante"
Chaque jour, 10 personnes meurent d'avoir respiré de l'amiante
Le dossier complet du Nord littoral de ce week end :
Nord littoral samedi 11.10.2008, 14:00
Comme en 2005, les Calaisiens marcheront
pour soutenir les victimes de l'amiante.
L'Andeva organise ce jour une marche dans les rues de Paris. Plusieurs milliers de personnes dont 75 Calaisiens réclameront un procès pénal de l'amiante et dénonceront les lacunes de la prise en charge de leur préjudice
Un convoi funèbre. Veufs, veuves et malades de l'amiante défilent aujourd'hui dans la capitale pour dénoncer le scandale de l'amiante et de sa prise en charge.
Trois mille personnes sont
attendues dans une marche silencieuse qui revêt l'apparence d'un convoi funèbre
où seul le pas des marcheurs retentit sur le pavé parisien. Certains
arboreront, pour unique revendication la photo de leur conjoint défunt, décédé
à cause de l'amiante.
Revendication
et solidarité
Depuis trois ans, chaque deuxième samedi du mois d'octobre, veufs, veuves,
malades et sympathisants dénoncent les milliers de victimes que fait l'amiante
chaque année, des lacunes répétées dans la prise en charge des préjudices, dans
la prévention d'un risque majeur, et dans la justice due aux personnes
atteintes d'une maladie de l'amiante et à leurs familles. « Mais
au-delà de cette fonction revendicative, la manifestation des victimes de
l'amiante est aussi une occasion unique de nous retrouver tous ensemble, de
partager une journée de solidarité, souvent émouvante et forte qui laisse la
plupart du temps un souvenir durable aux participants », précise
Pierre Ansel, l'un des responsables de l'antenne calaisienne de l'Ardeva
Dunkerque (Association régionale de défense des victimes de l'amiante).
La marche des veuves prévue ce jour est l'occasion de rappeler que les victimes
de l'amiante attendent toujours un procès pénal. Aucun responsable de la plus
grande catastrophe sanitaire que la
France ait connue n'a encore été renvoyé devant un tribunal
pénal. Dans cette attente dix Français décèdent chaque jour d'une maladie
reconnue de l'amiante.
Petites avancées
et fausses joies
La mobilisation des veuves de l'amiante, soutenue par l'ensemble des Ardeva de
France, avait permis que soit regroupé l'ensemble des plaintes au pôle
judiciaire de santé publique. Manque de moyens. Fausse joie. Les magistrats de
ce pôle ne disposent pas d'assez de moyens pour conduire une instruction de
qualité. Instruction qui ne devrait pas pouvoir être close avant 2014. « Les
empoisonneurs doivent être jugés », martèle Pierre Ansel. La marche
s'achèvera ainsi sous les fenêtres de Rachida Dati, la garde des Sceaux, pour
exiger justice.
L'autre source d'inquiétude pour les associations est le projet de réforme de
l'allocation de cessation anticipée d'activité, l'Acataa. Cette compensation
est totalement inique puisqu'elle ne s'applique qu'aux salariés de quatre
secteurs industriels (transformation d'amiante, flocage et calorifugeage,
construction et réparation navale, dockers). De nombreux salariés, comme ceux
du bâtiment, sont laissés de côté. « La préretraite amiante n'est pas
un privilège, conclut Pierre Ansel. Ceux qui vont mourir plus tôt à
cause de leur activité professionnelle doivent pouvoir cesser de travailler
plus tôt. »
A.TH.
* Ardeva Calais, permanence chaque deuxième samedi du mois de 9 heures à
12 heures à la maison des associations, rue Hagueneau.
Permanences téléphoniques le soir, après 19 heures (sauf le mardi) au
03 28 68 27 19.
Nord Littoral
Un tueur en série connu depuis 1899
Alors qu'on le sait mortel depuis 1899, l'amiante n'a été
interdit en France qu'en... 1997 ! L'industrie s'est régalée de cette
fibre miracle - sans équivalent à ce jour - et en a honteusement abusé : bâtiment,
construction navale, textile, automobile, industrie des matières plastiques,
industrie alimentaire et pharmaceutique, etc. On estime à plus de 3 500 le
nombre de produits dérivés contenant de l'amiante allant du bijou au
grille-pain, en passant par le gant de cuisine ou le vin. Bref, l'amiante, tapi
dans l'ombre, a hanté le quotidien de tous les Français durant des décennies.
L'amiante n'est cependant pas directement dangereux. Les bijoux en oeil de
tigre ne sont pas dangereux, pas plus que le vin filtré par des filtres
contenant de l'amiante n'est nocif - tout au moins consommé avec modération.
C'est le taux d'empoussiérage de l'air créé par l'effritement ou la
transformation des produits dérivés qui est dangereux.
Schématiquement, la fibre d'amiante se présente comme un minuscule pic. Inhalé,
ce "cure-dent" deux mille fois plus fin qu'un cheveu peut rester
coincé dans le système respiratoire. Dans ce cas, d'autres fibres viendront
s'agglutiner. Le tueur est là, silencieux, imperceptible. A mesure, les poumons
vont perdre leur élasticité jusqu'à devenir comme de la pierre. La maladie
patiente ainsi cinq ans, dix ans, quinze, vingt ou trente ans. Quand elle se
déclare, c'est la mort assurée dans les deux ans.
Un substitut plus dangereux
Mais les salariés de tous les secteurs en ont respiré. En 2007, l'Institut de veille
sanitaire a estimé que 50 % des artisans français mis à la retraite en
2004 ont été exposés à l'amiante lors de leur vie professionnelle. Le résultat
est tragique. Chaque jour, dix Français décèdent d'avoir respiré de l'amiante.
Au dire des épidémiologistes, 100 000 morts sont à craindre prochainement
dans l'Hexagone. Les maladies de l'amiante constituent la pire catastrophe
sanitaire que la France
connaisse. Cent milles morts sont prévus d'ici 2025. Quinze à vingt nouveaux
cas de mésotheliome sont découverts chaque année dans le Nord/Pas-de-Calais. Le
Calaisis compte un demi-millier de malades. Gouvernements et médecins savaient
l'amiante mortel depuis 1905. Cette fibre n'a été interdite en France qu'en
1997. Une entreprise britannique comme Courtaulds n'utilisait pas d'amiante en
Angleterre (puisqu'interdit depuis 1947) mais en abusa à Calais jusqu'à sa
fermeture (au début des années 90) ! De plus en plus d'enseignants
déclarent des pathologies dues à l'amiante. Qu'en sera-t-il de leurs élèves
dans dix, vingt ou quarante ans ?
Depuis dix ans, l'amiante est remplacé dans bon nombre de ses applications par
la fibre céramique réfractaire. Un soulagement ? Franchement pas. Certains
affirment en effet que cette matière pourrait se révéler plus dangereuse encore
que l'asbeste.
A.TH.
Les chiffres calaisiens de l'amiante
L'Ardeva a entamé 2 606
procédures dont 1 688 Fiva, 1 976 familles ont été indemnisées.
Pierre Ansel, Aimé Carbonnier, Jean-Claude Ghelin, et Serge Pitou ont assuré un
millier d'heures de permanence en 2007 et reçu 255 personnes pour l'Ardeva.
Une vingtaine d'entreprises du Calaisis est reconnue Acataa (Allocation de
cessation d'activité anticipée des travailleurs de l'amiante) ce qui permet aux
"travailleurs de l'amiante" un départ à la retraite anticipé. Ils
sont 220 répartis sur Boulogne (60), Calais (20), Dunkerque (100), Saint-Omer
(20) et autres (20).
Parmi les anciens salariés de Courtaulds, 120 personnes sont atteintes d'une
maladie de l'amiante, dont une vingtaine est décédée. Des chiffres en deçà de
la réalité : certaines personnes ne tentent pas d'obtenir une quelconque
indemnisation, d'autres ne font pas appel à l'Ardeva et constituent leur
dossier individuellement. Il existe de nombreuses victimes parmi les salariés
de la Socarénam,
Rogliano, Khol, Blitz, Wanner, Scora, des employés du bâtiment ou des garages.
Sans oublier deux enseignantes du Calaisis qui, elles aussi, ont contracté une
maladie de l'amiante sur leur lieu de travail.
Une quarantaine de veuves calaisiennes et un veuf.
L'indemnisation Fiva est trop lente
La question des moyens, prégnante dans
le volet judiciaire, semble l'être tout autant en ce qui concerne le Fiva,
fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Ce fonds propose des
indemnisations à l'amiable aux victimes, sans passer par des procédures
longues. Le hic, c'est que le Fiva semble à son tour très long, faute de
personnel : parfois plus d'un an d'attente pour une décision, la moitié en
plus pour percevoir les sommes, alors que la loi prévoit 6-8 mois. Des sommes
qui, au grand maximum atteignent 25 000 euros.
Prescription trentenaire
Les sénateurs envisagent de ramener de trente ans à cinq ans le délai de
prescription de droit commun pour les actions personnelles et mobilières.
Toutes les demandes de dommages et intérêts d'un salarié licencié, accidenté ou
victime de discriminations devront être faites dans un délai de cinq ans.
Au-delà tout recours en justice sera impossible. Tous ceux qui ont été en
contact avec l'amiante et qui développeront une maladie dans les dix ou
quarante ans ne pourront plus aller en justice.
Documentaire
à l'Alhambra
Le 24 octobre à 19 h 30 à l'Alhambra sera diffusé un
documentaire intitulé "Mourir d'amiante". La projection sera suivie
d'un débat animé par Pierre Pluta, président de l'Ardeva 62-59.
Démantèlement
du Clémenceau
L'ancien porte-avions français Clémenceau rejoindra-t-il le port anglais où il
doit être démantelé par les chantiers Able UK ? Une association
britannique a déposé un recours. L'association dénonce la présence d'amiante à
bord du navire.
Gravats
amiantés
La préfecture de Seine-Saint-Denis a pris le 1er octobre deux arrêtés
contre l'exploitation d'un site non déclaré de tri de déchets, où des
sans-papiers affirment que de l'amiante était mélangée aux gravats de décharge.
« On ajoute de la douleur »
Sept ans après le décès de Michel
Bremont, les deux Christiane, mère et fille, peinent à sécher leurs larmes. « Ce
qui était très difficile à vivre c'est que je devais accoucher alors que mon
père était en train de mourir, raconte la fille qui attendait des triplés. Mon
père s'est battu pour les voir. Quand il a pu les toucher, il s'est laissé
partir. » Michel Bremont est décédé le 14 mars 2001 à l'âge de 63
ans d'un cancer de l'amiante. Quelques semaines avant sa fille et son gendre
ont obtenu du responsable du service néonatalité de Calais que Michel Bremont
puisse rendre visite à ses trois petits enfants, sa bouteille d'oxygène sur le
dos. « Mon mari aimait tellement les enfants , se souvient
Christiane Bremont. Il a tout donné pour voir les triplés. Après, il s'en
est allé. » Michel Bremont est un ancien de chez Courtauds. « Il
s'est engagé sept ans dans l'armée, a participé à la guerre d'Algérie avant de
travailler chez Brampton, chez Lombard, à l'Urssaf puis chez Courtaulds,
égraine Christaine Bremond mère. Il a commencé à être malade en 1987 puis en
1988, il a été déclaré en invalidité permanente parce qu'il était atteint d'une
fibrose pulmonaire. Il suit plusieurs traitements qui stabilisent sa maladie
jusqu'en 2000 où on lui diagnostique des polypes sur la vessie qui se sont
révélés précancéreux. Un cancer du poumon lui est en effet découvert au mois de
juin de cette même année. Ce cancer a été reconnu comme cancer de l'amiante.
Mon mari a subi trois protocoles de chimiothérapie, sans succès. »
L'équipe médicale ne se fait pas d'illusion. Elle laisse Michel Bremont passer
des fêtes de fin d'année tranquille. « Je peux vous assurer qu'on n'a pas
vécu de bons moments », promet Christiane Bremont. D'autant que leur
fille attendait des triplés...
La force de voir
ses petits enfants
La nouvelle année n'améliore pas la santé de Michel Brémont. Il est trop faible
pour supporter une nouvelle chimiothérapie. Début février 2001, nul ne
sait où il trouvera la force d'un ultime déplacement au centre hospitalier de
Calais voir ses trois petits enfants nouveau-nés. Il décède quelques jours plus
tard.
L'épouse de Michel Brémont décide de faire reconnaître la maladie de son époux.
« Ça n'a pas été facile, relève Christiane Brémont. Mon mari ne
travaillait pas dans l'usine mais dans les bureaux. Au début il était au
service paye. Puis, à 46 ou 47 ans, il a passé son bac pour évoluer dans
l'entreprise et devenir analyste-programmateur. » Le dossier a été
déposé en 2006. En juin 2007, Christiane Brémont a reçu sa notification
définitive. Désormais elle attend une proposition financière du Fiva. « Cette
procédure est longue car on nous demande sans cesse des papiers supplémentaires,
raconte Christiane Brémont. J'ai couru partout pour retrouver des collègues
de mon mari et les convaincre de me rédiger des témoignages, des attestations.
C'est regrettable qu'on ajoute ainsi de la douleur à la douleur... »
Christiane Brémont suit attentivement l'activité de l'Ardeva qui l'aide dans
ses démarches. Atteinte d'agoraphobie, elle ne fera pas le déplacement à Paris
samedi. « Je le regrette. J'ai trop peur de la foule. Mais je serai de
tout coeur avec eux », conclut Christiane Brémont.
A.TH.
* Fleuron de l'industrie calaisienne, Courtauds était le 1er producteur mondial
de fibre synthétique. Des milliers de Calaisiens y ont travaillé jusqu'à sa
fermeture en 1990. L'entreprise
a été reconnue ayant pu contaminer ses salariés quelques années plus tard.
« Nous sommes dans le creux de la vague »
Quelles sont les revendications
de la marche des veuves organisées aujourd'hui à Paris ?
Pierre Pluta : « L'objectif est triple. D'abord le Fiva, fonds
d'indemnisation des victimes de l'amiante, n'a ni les moyens humains, ni les
moyens financiers d'indemniser les victimes dans les délais imposés par la loi.
Nous demanderons également que l'Acaata, l'allocation de cessation activité
anticipée pour les travailleurs de l'amiante, soit élargie à d'autres
professions que les quatre pour le moment retenues (transformation d'amiante,
flocage et calorifugeage, construction et réparation navale, dockers). Je pense
par exemple aux travailleurs du bâtiment ou de garages qui ont été largement
exposés et qui n'y ont pas le droit. Ensuite, nous tenons à ce qu'il y ait un
procès pénal de l'amiante. Grâce aux marches des veuves autour du palais de
Justice de Dunkerque, nous avons pu faire avancer le dossier pénal. Un pôle
d'instruction a été créé. » Une cellule d'instruction qui n'a pas les
moyens d'enquêter.
« À force de nous battre nous avons obtenu que le pôle d'instruction
ait enfin les moyens humains et financiers d'enquêter. Malheureusement les
moyens attribués à ce pôle d'instruction ne sont pas affectés à l'amiante mais
à d'autres investigations comme la lutte antidopage, en particulier dans le
Tour de France, ou la lutte contre les trafics d'animaux ! Autant de
fléaux plus médiatiques que le scandale de l'amiante. » On vous
reproche régulièrement de vous acharner à réclamer un procès pénal des
empoisonneurs ?
« Oui. On nous dit "vous êtes indemnisés, que voulez-vous de
plus ?" mais pour nous c'est une question de dignité. Nous voulons
que les gens qui savaient que l'amiante était dangereux et qui ont laissé faire
rendent des comptes à la justice. Je pense aux employeurs, aux médecins du
travail, aux gouvernants... À la justice ensuite de décider de leur
sort. » Pour vous ce sont des assassins ?
« Je ne sais pas comment il faut les appeler. Ils sont cependant
responsables de milliers de morts. On parle de 100 000 morts en France
d'ici quelques années. Actuellement l'amiante tue dix personnes en France
chaque jour, et nous sommes dans le creux de la vague ! Quand quelqu'un
est responsable d'un accident, ou vole, il comparaît devant la justice.
Pourquoi ces personnes ne le devraient pas ? Ce sont les veuves
elles-mêmes qui réclament un procès pénal, disant qu'elles ne pourront faire
leur deuil que lorsque ce procès aura eu lieu. » L'amiante a été
remplacé par la fibre céramique réfractaire... «... Oui. Un matériau sans
doute plus dangereux encore que l'amiante. » Sauf que désormais, les
gens prennent des précautions, en France tout au moins, lorsqu'ils manipulent
ce genre de matériau.
« En êtes-vous si sûr ? Selon les statistiques officielles
80 % des personnes qui travaillent sur un chantier de désamiantage ne
prennent pas les précautions nécessaires. D'autre part, ces mêmes producteurs
d'amiante qui nous ont empoisonnés continuent à exporter de l'amiante.
L'Andeva doit d'ailleurs faire face à un procès en diffamation attenté par le
Canada parce qu'elle a écrit dans l'un de ses bulletins que ce pays utilisait
de l'amiante. Le président de l'Andeva, François Desriaux, est d'ailleurs mis
en examen. »
Propos recueillis par A.TH.