Deauville guette le blues
Clôture. «The Visitor» et «Ballast» au palmarès du 34e festival du cinéma américain.
Envoyé spécial à Deauville GÉRARD LEFORT
LIBERATION : lundi 15 septembre 2008
Mené par l’impeccable Carole Bouquet, le jury du 34e festival du cinéma américain de Deauville a bien fait son boulot. Certes la majorité de ses membres semble avoir reculé devant le très secouant Afterschool de Antonio Campos (nous y reviendrons lors de sa sortie en France le 1er octobre) mais il n’a pas démérité en attribuant hier soir son grand prix à The Visitor de Tom McCarthy. Lequel nous avait plus qu’intrigué en 2003 avec son premier film, The Station Agent qui narrait la passion amoureuse entre un nain et une paumée (Patricia Clarkson).
Mordre. Ici Tom McCarthy entreprend ni plus ni moins d’inquiéter la politique d’immigration des Etats-Unis. En ancrant cette dispute dans une intrigue pour le moins existentielle. Walter Vale est un professeur d’université en fin de carrière, veuf et misanthrope. De passage à New York pour une conférence, il découvre son pied-à-terre du Village squatté par un jeune couple. Tarek est syrien, Zainab est sénégalaise. Il est joueur de djembé, elle vend des bijoux sur les marchés. La bonne surprise c’est que Walter, qu’on suppute quelque peu conservateur, n’appelle pas les flics mais propose aux jeunes gens de cohabiter en attendant une solution de logement. La mauvaise surprise, c’est que Tarek et Zainab sont des immigrés clandestins. Il suffira d’un contrôle de police dans le métro pour que le jeune homme soit placé dans un centre de rétention du Queens en attendant son expulsion. La scène de l’interpellation, particulièrement efficace, est filmée comme un claquement de doigt. D’une seconde à l’autre, le garçon est traité avec autant de considération qu’un terroriste. Le reste du récit s’attache à la galère pour faire libérer Tarek, et comme cette galère finira dans les chaînes, elle provoque l’indignation puis la franche révolte de Walter, blanc réglo expérimentant les limites de la démocratie à l’américaine. Quelle que soit l’excellence des rôles «secondaires» (mention spéciale pour Hiam Abbass, la mère de Tarek), la bonne idée est d’avoir mis en duo deux acteurs, a priori antipodiques, sans que ce contraste passe pour un colifichet de scénario. Richard Jenkins est parfait de quant-à-soi dans la peau du vieux prof se réveillant à la contestation. Haaz Sleiman (Tarek) n’est pas que beau, il est aussi l’incarnation d’une tenue impressionnante alors que tout autour de lui donne envie de mordre. La part documentaire dans le centre de rétention est, en effet, des plus glaçante où l’on voit s’exercer à vif le sadisme ordinaire des employés de l’immigration qui, subtilité bien venue, sont tous des Noirs. Ce qui tendrait à prouver que les damnés trouvent toujours pire qu’eux à opprimer.
Dignité. Par ailleurs, le jury a aussi donné son prix spécial à Ballast, premier film de Lance Hammer. Alors là, il serait séant d’aller personnellement embrasser sur la bouche tous les membres du jury. Ballast est le film qui, à lui seul, aurait justifié le déplacement à Deauville. Une fable mélancolique, une ballade au sens poétique, un vrai blues puisque l’action se situe dans le delta du Mississippi. Quelques notes de scénario, trois acteurs minimalistes (et non professionnels), une intrigue de rien qui pourtant noue la gorge et pique les yeux : James est un garçon noir de douze ans qui vit avec Marlee, sa mère célibataire, femme de peine. Le voisin du cabanon d’à côté s’appelle Lawrence, grand corps dépressif, massacré par le suicide de son frère jumeau. Lawrence est l’ex-beau frère de Marlee. Cris et règlements de compte : les liens familiaux sont ceux de la malédiction mais, dignité inouïe de ce film, sans en faire un mélodrame ou un spectacle. Pour preuve les images intercalaires de campagne (plaines imbibées) qui ne sont jamais des publicités pour le paysage. Entre la première scène, ouverte sur le passé, et la dernière, fermée sur le futur, Ballast est comme une chanson triste qui se danse, un slow d’amour.